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Une affaire de coeur

  • Paris Match | PubliĂ© le 30/01/2015 Ă  11h46

    De notre envoyé spécial en Argentine Romain Clergeat

    Au bord du lac de Rio Hondo, le 18 janvier, au lendemain de l’avant-dernière étape, les quatre buggys Optimus. Autour de Maryse et Antoine Morel, au premier plan, de g. à dr. Jean Brucy et Pierre Lachaume, Pascal Larroque, pieds nus, et deux mécaniciens. A l’arrière-plan, sur les buggys, de g. à dr. Jean-Michel Polato et Dominique Housieaux, Christophe Crespo et Jean-Pierre Strugo. Au centre, l’équipe des mécaniciens. Bernard Wis

    Après 9 000 kilomètres de course, l’écurie du coeur a ramené quatre de ses sept buggys à Buenos Aires, en Argentine. Paris Match s’est Associé à la grande aventure du Dakar.

    L’exploit, c’est lui qui l’a réalisé. Cette année, il est arrivé 41e. Pour Albert Llovera. pilote de l’Ecurie du coeur. tout est deux fois plus dur que pour les 142 autres. Le soir, au bivouac, c’est presque une deuxième course qui commence. Dans sa chaise roulante, il doit se frayer un chemin sur les terres souvent ravinées de l’immense campement. Quand, après des étapes de 800 kilomètres, les corps des pilotes sont perclus de crampes, lui doit encore tirer sur ses bras pour rejoindre la cantine, se laver ou, simplement, s’extraire de son véhicule. Albert Llovera, ancien espoir de ski, a perdu l’usage de ses jambes à l’âge de 17 ans. En pleine descente, en 1985, il percute un commissaire de course. Mais son esprit de compétition est intact. Au point de lui faire envisager le Dakar. Bien sûr, nulle grande écurie ne s’est précipitée pour l’engager… Alors, il s’est tourné vers les Morel. Leur équipe ne se nomme-t- elle pas « L’Ecurie du coeur ». Il a frappé à la bonne porte. « Le personnage est si attachant qu’on ne s’est pas longtemps posé la question », tonne Antoine Morel, patron du team.

    Il lui confectionne une remorque qui, à l’arrière d’un camion d’assistance, fera office de chambre car, évidemment, il lui est impossible, le soir, de déployer une tente. Sur sa voiture, un système au volant lui permet d’accélérer, de freiner et de passer les vitesses. Dit comme ça, cela paraît facile. Sur le terrain, ça l’est moins. Surtout dans les dunes de sable où éviter de s’enliser ne nécessite pas seulement de la dextérité mais aussi une bonne dose de chance. Quand on est « tanké », comme disent les pilotes, il n’y a rien d’autre à faire que de sortir la pelle. C’est la hantise d’Albert. Dans ce cas, il devra laisser tout le boulot à son copilote, Alex Haro Bravo. Il redoute l’étape marathon qui, cette année, se déroule en Bolivie. A 4 800 mètres d’altitude, tout est plus compliqué pour les organismes. Ajouté au fait que les équipages sont, ce jour-là, sans aucune assistance. En cas de casse, c’est aux pilotes de se débrouiller. Pour la mécanique et pour le reste. Sur ce trajet Iquique-Uyuni, Albert se sait encore plus vulnérable, surtout sans la surveillance bienveillante de Maryse Morel. Une des rares femmes du Dakar.

    Maryse en a vu plus d’un s’effondrer dans ses bras. Des costauds, des tatoués, des durs au mal qu’elle consolait à l’arrivée d'une étape dantesque

    C’est le personnage clé de l’Ecurie du coeur. Sa seule présence diffuse un climat apaisé au sein du team. Les mécanos réparent la mécanique, elle met de l’huile dans les rouages. Et panse les plaies. En treize Dakar, elle en a vu plus d’un s’effondrer dans ses bras. Des costauds, des tatoués, des durs au mal qu’elle consolait à l’arrivée d’une étape d’assistance moto. Certains soirs, ils n’avaient même pas besoin d’enlever leur casque pour que je lise dans leurs yeux qu’ils étaient sur le point de craquer », explique Maryse. Antoine, son mari, était aussi sur une moto quand elle l’a rencontré. Elle avait 18 ans ; lui, 16. Lui n’a jamais pleuré. Il a gagné le Dakar en quad et fini 28e à moto. Mais trois clavicules cassées plus tard, Maryse lui a fait comprendre que les statistiques ne parlaient pas pour lui. Sur les 25 concurrents morts sur le Dakar, quasiment tous étaient motards… Alors, Antoine range son guidon, monte une écurie d’assistance moto puis voiture, MD Rallye, et entraîne sa femme dans l’aventure. « On est partis une fois l’un sans l’autre sur deux courses tombant en même temps. On a juré de ne plus jamais recommencer. On se complète parfaitement. J’ai besoin de son énergie quand je me sens découragée, et lui aime mon calme qui le fait redescendre en régime. »

    Pierre Lachaume, dans une tempĂŞte de sable, finira 15e, meilleur rĂ©sultat de l’équipe MD. © Bernard Wis

    Comme un soir, au bivouac, où une crise éclate avec Romain Dumas. Ce double vainqueur des 24 Heures du Mans s’est engagé cette année avec l’Ecurie du coeur grâce à Pierre Vasseur, infatigable artisan du rapprochement entre Mécénat Chirurgie cardiaque et MD Rallye des Morel. Dès la deuxième étape, Romain Dumas, habitué aux lignes pures des tracés sur circuit, sans expérience en rallye, comprend sa douleur. Il casse deux dantesque. Surtout des motards. « Au début, nous avions une équipe d’assis transmissions et la direction assistée, crève deux roues… Antoine Morel ronchonne dans sa barbe. « C’est pas fait pour ça, un Optimus », peste-t-il. Les mécaniciens entament leur série de cinq nuits blanches et remettent la voiture en état. Lors de l’étape en Bolivie, de fortes pluies ont transformé des gués en torrents. Conduire sous la pluie, Romain Dumas sait faire. Mais rouler sur l’eau, pas encore. Les essuie-glaces tombent en panne, le pare-brise se couvre de buée. Il ne peut éviter un énorme trou, se fait secouer les cervicales, repart pour aborder un rio qui ressemble à un fleuve. Les plus prudents longent la rivière en espérant trouver un passage ; lui s’y engage franco. L’eau monte jusqu’au siège et, forcément, la visibilité amphibie n’étant pas son fort, il se retrouve pris au piège d’un éboulis de pierres immergées. Lui et son copilote ne parviennent pas à bouger la voiture. L’abandon est inévitable quand, miracle, des paysans boliviens l’aperçoivent et parviennent à extraire le véhicule de l’eau.

    Ils terminent l’étape tant bien que mal, réparent les circuits électriques qui n’ont pas aimé l’épisode et, avec seulement trois heures de sommeil, repartent pour l’étape du lendemain. Un pilote chevronné qui se retrouve en fond de classement et un patron d’écurie qui s’agace de voir sa voiture maltraitée. Au bivouac suivant, tous les ingrédients sont réunis pour un clash. Un ton inopportun envers un mécanicien met le feu aux poudres, et Antoine Morel entre comme une tornade sous la tente où se trouve Maryse. Il vitupère, ressort, maugrée, revient, menace… Calmement, en quelques mots, Maryse ramène le moteur de son mari à un régime plus raisonnable, trouve son point mort, lui suggère de passer doucement la première et de repartir… De fait, les deux hommes choisiront sans heurts de ne pas présenter la voiture au départ le lendemain. A quatre étapes de l’arrivée, le bilan est satisfaisant pour Maryse et Antoine. Sur les sept buggys engagés, quatre restent en course. C’est dans la moyenne. Cette année, sur 143 voitures au départ, seulement 70 sont parvenues à Buenos Aires. Le plus gros regret reste l’abandon de Pascal Thomasse. Pilote hors pair, d’une classe folle, son dévouement à l’écurie Morel est infaillible. Il a terminé dans les dix premiers il y a trois ans. Une performance, quand on sait que les mastodontes comme Mini, Peugeot ou Toyota mettent trois fois plus d’argent dans leurs véhicules.

    Au départ, seulement 70 sont parvenues à Buenos Aires

    « Ça a été ma plus grande émotion de course », se souvient Maryse. « Seuls les dix premiers montent sur le podium avec leurs patrons d’écurie. Avec Antoine, nous étions aussi heureux que si nous avions été au volant. » Mais, à 62 ans, Pascal Thomasse sait qu’il a plus de Dakar derrière lui que devant. Cette année, fort d’un nouveau moteur, il nourrissait pourtant de grands espoirs. Une quatrième vitesse bloquée en début de spéciale a mis fin à ses ambitions. « Un coup de bambou, dit Maryse. Il y croyait tellement fort, et nous aussi, qu’il a fallu digérer. D’autant que, le lendemain, la panne était réparée en trois secondes par le fabricant de la boîte de vitesses… Mais sur la course, il n’y avait rien à faire. » Comme l’année dernière, tous les espoirs reposaient désormais sur Pierre Lachaume et son copilote, Jean Brucy. Méthodique et consciencieux, le numéro deux de l’Ecurie sait mieux que personne que, pour aller loin, il faut ménager sa monture. Attaquant quand il le faut, prudent là où la nécessité fait loi, capable de se laisser doubler pour mieux reprendre un adversaire quelques kilomètres plus loin, Pierre Lachaume roule efficace. Et tient son rang à chaque étape. Parfois, il s’offre quelques « chaleurs ».

    Jean-Pierre Strugo, entrepreneur, a gagnĂ© son pari. terminer après 9 000 kilomètres de pistes infernales. © Bernard Wis

    Par exemple quand, pris dans la poussière d’un camion russe de l’équipe Kamaz, il saisit une opportunité en aveugle, à 170 km/h. « Là, rigole-t-il, c’est clair. S’il y avait eu une pierre ou un trou, c’était… compliqué. » Mais, à l’arrivée, il se précipitera pour féliciter Albert Llovera. Le pilote d’Andorre a enfin terminé un Dakar. De justesse. La veille encore, un problème électrique l’avait contraint de se faire tirer à la corde sur une partie du parcours ; mais après avoir redémarré il était parvenu à rester en course. Quand tout va mal, il sourit. A l’arrivée à Buenos Aires, il était solaire… Tous les ans, dans l’avion du retour, Maryse dit à Antoine. « C’est trop de stress. J’arrête. Je ne reviendrai pas. » Et, chaque année, à partir du mois de février, Antoine commence à lui parler des dispositions à prendre pour le prochain Dakar. Et Maryse replonge. Pour le Dakar 2016, à la surprise générale, Antoine Morel a déjà décidé qu’il participerait, en tant que pilote, au volant de sa propre voiture. Ce serait unique. Son fils, Kévin, présent cette année dans le camion d’assistance, rêve de participer à son tour. Mais à moto. Maryse n’a pas fini de se faire du souci…

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